Depuis que j’ai commencé à photographier, je me suis toujours Intéressé à la notion de frontière.
Il était donc fatal qu’un jour j’en arrive là, à Tanger, la ville-frontière par excellence. D’abord géographiquement :
Carrefour et frontière entre le Nord et le Sud, l’Est Et l’Ouest, l’Europe et l’Afrique, la Méditerranée et l’Océan Atlantique… Mais surtout métaphoriquement, symboliquement:
Frontière entre le réel et le fictionnel. Tanger la ville mythe, la ville théâtre, la ville cinéma.
Et aussi : la ville arnaque, la ville contrefaçon…
Il me semble en effet que, pour ceux qui découvrent cette ville et pour ceux qui s’y sont installés plus ou moins définitivement, la dimension du désir – du fantasme –‐ ne va pas sans un certain degré de déception. Comme pour tout objet fantasmé, l’expérience se révèle toujours irrémédiablement déceptive.
Il y a des mots qui reviennent souvent lorsqu’on parle de Tanger: fiction, mythe, théâtre, cinéma, mise en scène… Et des noms d’écrivains, d’artistes, d’acteurs ou de personnalités mondaines, telles des divinités tutélaires du lieu (divinités décadentes pour la plupart, à l’image de la ville) : Paul Bowles, Claudio Bravo, les Rolling Stones, William Burroughs, Mohamed Choukri, Barbara Hutton etc.
C’est ce « scenario entre réalité et fiction », ce « décor de cinéma» que j’ai tenté de porter à l’image dans ce travail qui m’a absorbé pendant cinq ans. Comme dans mes précédents travaux sur Asmara et Casablanca, mon approche photographique du paysage urbain s’écarte de la simple documentation pour dessiner un portrait imaginaire, presque onirique de la ville. La ville que j’ai photographiée –‐ que j’ai voulu ‘raconter’ avec mes images –‐ n’existe pas. Ou pour mieux dire : elle existe au croisement, entre la ville réelle, celle que j’ai réellement parcourue, et l’image de Tanger que je porte en moi, nourrie de mythes, de récits littéraires et cinématographiques.
Dans Interzone, William Burroughs écrit au sujet de la ville du Détroit: «La ville se développe dans plusieurs dimensions.
Marco Barbon
Les photographies de ce travail ont été réalisées avec un appareil argentique moyen format chargé avec des films négatifs couleur.